Le matin

Le matin . c'est le matin le mieux . Ils sont tous partis au travail , ou à l'école conduire leur enfants , faire des courses , le ménage , je ne sais , mais c'est le moment le moins pire de la journée . La douleur est comme apprivoisée , docile . Mais ma tête est dans la brume , tout le temps . Brume de douleurs , migraine , douleurs baladeuses dans mon corps avec en contre-point la brûlure constante dans le haut de la cage thoracique . Mon coeur s'emballe souvent , palpite , ralentit sa course , repart tel une cavale emballée par la musique inaudible des ondes . 

Vers 11 h çà se précise ; la migraine s'intensifie insidieusement , le contre-point se fait plus lourd et mes cellules grises se recroquevillent dans ma boîte crânnienne . Douleurs constantes , difficulté pour lire , écrire , et même converser de choses abstraites avec les autres .

A 18 h , ils sont rentrés chez eux et commence la grande symphonie des ondes parisiennes . La nausée me rattrape , compagne fidèle et vespérale de la migraine . Je vais tenir encore . enfin essayer de tenir , faire bonne figure devant les enfants , tricoter pour occuper mes mains et leurrer mes cellules grises devant la télé . Pour finir par échouer dans mon lit sous le blindage du tissu acheté à prix d'or . L'insomnie me tient la main : je peux pleurer . Seule .

Je suis une privilégiée : mon mari m'aime et a parfaitement compris ce qui m'arrive , mes enfants éteignent leurs GSM en ma présence , tout ce qui est source d'ondes est coupé dans mon appartement . Pas chez mes voisins . Pas dehors ; de mes fenêtres je peux voir une quizaine d'antennes relais , il y en a 7 en face de chez nous , au même niveau que notre appartement , à 100 m .

Je vais partir c'est sûr . Loin dans un trou paumé , une minuscule zone blanche où se niche une jolie maison adossée à une petite falaise qui me protègera de la plus proche antenne . La maison devrait être à nous cet été . En attendant il faut tenir ici . Dans mon bocal . Sous les feux des autres .

Je rève de vivre à une autre époque , 100 ans en arrière , pleine d'énergie et d'entrain , assumer ma charge de mère de famille normale .

Depuis hier soir , je sais que mon cerveau mal-oxygéné risque l'AVC .